Il en avait fait un sujet de fascination, un objet de réflexion, presque un partenaire de scène. La mort, Thierry Ardisson la regardait en face. Mais c’est elle qui, en ce 14 juillet, a tiré le rideau, mettant fin à l’histoire d’un homme qui avait fait de la télévision un théâtre d’idées, d’impertinence et d’audace.

Thierry Ardisson s’est éteint à l’âge de 76 ans, vaincu par un cancer du foie, après près de cinq décennies passées à bousculer les formats, les invités et les certitudes. Il le disait lui-même : ce qui le rongeait, ce n’était pas la peur de mourir, mais la frustration de devoir un jour arrêter de penser, de créer, d’écrire. Jusqu’au bout, il aura tenté de repousser cette échéance par l’humour noir, l’expérimentation, et une verve unique.

En 2022, déjà affaibli, il lançait Hôtel du temps, une émission dans laquelle il interviewait des personnalités décédées, recréées grâce à l’intelligence artificielle. Une mise en abyme saisissante, comme une répétition générale de sa propre fin, dans le décor feutré du Meurice où il avait ses habitudes. “Ce que je veux, c’est voir arriver la mort en face”, confiait-il alors.

L’homme en noir, entre provoc’ et élégance

Né en 1949 à Bourganeuf, dans la Creuse, Thierry Ardisson ne s’est jamais senti à sa place dans le décor modeste de son enfance. Fils d’un ouvrier et d’une mère au foyer, il rêvait d’ascension, de lumière, de notoriété. Et s’il n’a jamais renié ses origines, il leur a longtemps reproché de ne pas lui avoir donné le décor qu’il estimait mériter. Pourtant, c’est à son père qu’il rendait l’héritage le plus précieux : l’amour du cinéma, de l’information… et de la formule.

Car Ardisson, c’était d’abord une plume, un esprit. Un faiseur de slogans (« Ovomaltine, c’est de la dynamite ! ») devenu créateur d’images et d’identités télévisuelles. Il avait commencé dans la publicité, poursuivi dans la presse avec L’Écho des savanes, puis Entrevue, avant d’embrasser la télévision comme un territoire à conquérir — et à déranger.

Une œuvre télévisuelle entre chef-d’œuvre et coup de poker

De Lunettes noires pour nuits blanches à Tout le monde en parle, de Paris Dernière à 93, faubourg Saint-Honoré, Ardisson a imposé un style, une voix, une esthétique. Celle d’un homme vêtu de noir, caméra fixe, plans serrés, silences pesés, formules piquantes. Ses émissions étaient parfois regardées par peu, mais citées par tous. Certaines étaient en avance sur leur temps, comme Hôtel du temps, nommé aux Emmy Awards, mais resté confidentiel. D’autres ont crevé l’écran, comme Tout le monde en parle, qui pendant des années a été le lieu où les puissants venaient se frotter à l’ironie et au risque.

Un producteur visionnaire, un œil pour les talents

S’il fut un animateur marquant, Ardisson a aussi été un producteur à l’odorat aiguisé. Il a permis l’émergence de nombreux talents : Graines de stars sur M6, Frou-frou avec Christine Bravo, On a tout essayé avec Laurent Ruquier. Ce dernier deviendra, avec ses chroniqueurs, l’un des visages les plus populaires de France 2 dans les années 2000, grâce à l’impulsion d’Ardisson en coulisses.

Il n’a jamais cessé de détecter ce qui allait faire parler, ce qui allait choquer, ce qui allait durer. Qu’on l’adore ou qu’on le critique, il restait un capteur de l’air du temps, un homme de contradictions fécondes, entre dandysme et brutalité, finesse et provocation.

Un autoportrait final entre deux mondes

En juin dernier, il publiait L’Homme en noir, un ultime livre mi-fiction mi-confession, dans lequel il s’imaginait entre la vie et la mort, animant un talk-show posthume. Comme souvent chez lui, la mise en scène précédait la réalité. Ce livre sonnait déjà comme une forme d’adieu. Un dernier clin d’œil à ce qu’il avait toujours fait : inventer des formats là où personne ne les attendait.