« Plus personne n’a de travail »: saturation du marché, concurrence déloyale et colère chez les tatoueurs
Alors que le tatouage est devenu un phénomène culturel de masse en France, le cri d’alarme de Tin-Tin, figure historique du milieu, révèle un secteur en pleine mutation… et en pleine crise. Explosion du nombre de professionnels, perte d’exigence artistique, et absence de régulation : pour les anciens, l’âge d’or est derrière eux.
Avec près de 13 millions de Français tatoués, le tatouage n’est plus un signe marginal : un Français sur cinq porte aujourd’hui une encre sur la peau. Face à cet engouement massif, les salons de tatouage ont fleuri dans tout le pays. Selon le Syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT), on comptait à peine 300 tatoueurs dans les années 1990 ; ils seraient aujourd’hui entre 15 000 et 20 000. Une croissance fulgurante… mais qui inquiète. « Trop de tatoueurs tue le tatouage », résume Tin-Tin, tatoueur reconnu et président du SNAT. Dans sa propre boutique, ils ne sont plus que deux, contre huit à neuf auparavant.
Le savoir-faire relégué au second plan
Ce que dénonce Tin-Tin n’est pas seulement une question de nombre, mais une mutation profonde du métier. « Avant, il fallait savoir monter une machine, comprendre les réglages. Aujourd’hui, avec deux tutos sur internet, n’importe qui peut se lancer« , déplore-t-il. À cela s’ajoute l’usage massif d’images copiées depuis Pinterest ou les réseaux sociaux, contournant le dessin original, autrefois compétence clé du tatoueur. Résultat : la frontière entre art et simple reproduction mécanique s’efface, au détriment de la qualité.
Une concurrence que les professionnels jugent déloyale
Ce bouleversement ne se joue pas seulement sur le terrain artistique. Tin-Tin évoque une véritable fracture économique entre les salons déclarés et les studios privés ou clandestins, où les charges sociales et sanitaires sont souvent contournées. « Ils n’ont pas d’Urssaf, pas de loyer, pas de frais de stérilisation comme nous », explique-t-il. Une concurrence déloyale, qui mine les revenus des tatoueurs officiels et fragilise les structures historiques. Les tatoueurs dits « à l’ancienne » se retrouvent pris à la gorge par une économie de l’ombre alimentée par la viralité des plateformes.
La méfiance grandit chez certains clients
Karine, auditrice interrogée sur RMC, résume bien ce paradoxe. Tatouée par Tin-Tin il y a 30 ans, elle affirme n’avoir jamais eu besoin de retouche. Mais une expérience récente dans une boutique de vacances l’a laissée amère : un tatouage payé 50 euros, qu’il faudra faire reprendre au double du prix. Une anecdote révélatrice de l’écart croissant entre les promesses des réseaux sociaux et la réalité des encres bon marché. Pour son fils, tenté par un tatoueur découvert sur TikTok, elle se montre catégorique : elle préfère payer plus cher chez un vrai professionnel.
Un appel au secours ignoré par les pouvoirs publics
Pour Tin-Tin et le SNAT, l’absence de régulation officielle est le nerf du problème. « Cela fait 25 ans qu’on demande des normes », rappelle-t-il, mais sans succès. Le tatouage reste une zone grise, sans formation obligatoire, ni encadrement sanitaire réellement harmonisé, malgré les risques biologiques que la pratique peut engendrer. Lassé, Tin-Tin conclut avec une pointe d’amertume : « Tout le monde s’en fout. »
Une culture en péril ?
Si le tatouage est devenu un acte de consommation courant, les vétérans du métier craignent qu’il perde son âme. Autrefois rite d’initiation, expression d’un engagement, voire œuvre d’art vivante, le tatouage serait désormais victime de sa popularité. En se démocratisant, il a vu émerger des profils sans formation ni démarche artistique, transformant un savoir-faire rigoureux en simple service à la demande.
Dans ce climat tendu, la profession se divise entre artisans exigeants et praticiens opportunistes, tandis que les clients, eux, naviguent entre prix cassés et tatouages ratés. Une situation que Tin-Tin, malgré sa notoriété, ne peut plus redresser seul.