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Et si les juges étaient élus plutôt que nommés ? « Une fausse bonne idée », dénoncent les magistrats

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Une proposition du député Vincent Jeanbrun visant à soumettre l’élection des juges au suffrage suscite un tollé dans la magistrature française.

Derrière cette initiative, censée restaurer la confiance dans l’institution judiciaire, se dessinent des risques profonds pour l’indépendance de la justice, selon les professionnels du secteur. C’est une proposition qui tranche avec la tradition républicaine : élire les juges du siège. Portée par le député Les Républicains Vincent Jeanbrun dans son plan intitulé Réparer les quartiers, rétablir la République, cette idée figure parmi une vingtaine de mesures qu’il présente comme une réponse à la crise d’autorité de l’État dans certains territoires. Maire de L’Haÿ-les-Roses, lui-même victime d’une attaque à la voiture-bélier lors des émeutes de 2023, Jeanbrun plaide pour une justice « plus humaine, rapide et compréhensible », incarnée par des magistrats directement choisis par les citoyens.

À ses yeux, cette élection ne reposerait pas sur des considérations partisanes mais sur des critères de compétence et d’engagement. Le parallèle est assumé avec des pays comme les États-Unis, la Suisse ou le Japon, où certaines fonctions judiciaires sont effectivement électives. Une comparaison qui, pour nombre de magistrats, occulte les fondements essentiels de l’indépendance judiciaire à la française.

Un précédent historique peu glorieux

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Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), rejette fermement cette proposition, la qualifiant de « fausse bonne idée ». Il rappelle que la France a déjà tenté l’élection populaire des juges… en 1790, durant la Révolution. Cette mesure fut abandonnée dès 1802 sous Napoléon Bonaparte. « La justice est un métier exigeant, technique, qui demande rigueur, déontologie et indépendance. Cela ne s’improvise pas », affirme-t-il.

Friat évoque également le cas des anciens juges de paix, ces magistrats non professionnels qui ont officié jusqu’en 1959 pour régler des litiges mineurs. Leur suppression fut actée en raison de leur manque de formation et de la perception d’une justice de notables plus que de compétence. Pour le président de l’USM, remettre en cause la nomination par concours, c’est risquer d’affaiblir encore davantage une institution déjà sous tension.

Des dérives dangereuses évoquées

Mais au-delà de l’inexpérience potentielle des juges élus, c’est le danger de pression politique et d’infiltration criminelle qui inquiète le plus les magistrats. Ludovic Friat alerte sur les tentations de corruption que pourrait engendrer un tel système. « Comment imaginer qu’un juge prenne des décisions contre ceux qui l’ont élu ? Et que feraient les réseaux de narco-trafiquants avec une telle opportunité ? » s’interroge-t-il, citant en exemple la récente élection au Mexique de Silvia Delgado, avocate du narcotrafiquant « El Chapo », désormais devenue juge.

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L’indépendance de la justice, pilier de l’État de droit, ne peut être sacrifiée au nom d’un affichage démocratique, martèle-t-il. D’autant que, selon lui, la réalité du terrain montre une justice qui survit grâce au dévouement des magistrats et des personnels, et non grâce à des réformes idéologiques. « Nous faisons tenir la justice à bout de bras », ajoute-t-il, appelant à des moyens structurels plutôt qu’à des effets d’annonce.

Une autre vision de la responsabilité judiciaire

Du côté du Syndicat de la magistrature, la critique est également ferme mais plus nuancée. Sa présidente, Judith Allenbach, reconnaît la nécessité d’une meilleure responsabilisation des magistrats, mais rejette la solution élective au profit de réformes de fond.

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« L’indépendance vis-à-vis des partis politiques, la compétence juridique et l’éthique doivent primer. C’est l’essence même du rôle de juge », insiste-t-elle. Pour renouer avec la population, elle propose de doubler le nombre de magistrats formés, d’accélérer les procédures grâce à des décisions collégiales, et de moderniser les infrastructures judiciaires. Elle suggère aussi de redonner une place aux citoyens dans les procès criminels, aujourd’hui largement réduite.

Sans ces ajustements structurels, aucune réforme ne pourra véritablement restaurer la confiance dans la justice, tranche-t-elle. « La justice doit retrouver du temps, de la sérénité, et les moyens d’agir efficacement. Le reste n’est que poudre aux yeux. »

Une réforme au goût de populisme ?

La proposition de Vincent Jeanbrun, bien que née d’un contexte de crise sécuritaire, réactive des réflexes populistes où la défiance envers les institutions sert de moteur politique. En pointant du doigt une prétendue déconnexion des magistrats avec la réalité des quartiers, elle alimente une vision manichéenne où les solutions simples tentent de répondre à des maux complexes.

Mais les syndicats sont unanimes : l’indépendance ne se discute pas. Et dans un contexte où les magistrats alertent régulièrement sur leur surcharge de travail, leur manque de moyens et la pénurie chronique de greffiers, c’est bien d’une refondation durable et ambitieuse dont la justice française a besoin — pas d’un coup de communication.

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