Discours de Lecornu à l’Assemblée : une annonce osée pour échapper à la censure
Au cœur d’une séquence politique sous haute tension, Sébastien Lecornu a transformé une démission en reconduction éclair, puis en programme d’action. Entre suspension de la réforme des retraites, cap budgétaire resserré et bras de fer parlementaire, l’exécutif cherche un chemin étroit pour éviter la censure et arracher un vote sur le budget 2026.
Renommé à Matignon cinq jours après avoir annoncé son départ, Sébastien Lecornu a revendiqué un « gouvernement de mission » et une méthode directe : revenir devant l’Assemblée par séquences thématiques (sécurité, immigration, énergie, transition écologique, éducation, numérique) et surtout « expliquer le budget ». Il demande de « ne pas attendre » et martèle l’urgence de redonner confiance et de doter la France d’un budget.
La suspension de la réforme des retraites : la mesure choc
Point d’orgue de sa déclaration, le Premier ministre propose de suspendre la réforme des retraites de 2023 jusqu’à l’élection présidentielle. Concrètement, aucun relèvement de l’âge légal n’interviendrait avant janvier 2028, comme le demandait la CFDT, et la durée d’assurance resterait à 170 trimestres jusqu’à cette date. Lecornu promet aussi une conférence « retraites et travail » sur pénibilité, carrières longues et attractivité des métiers, avec des conclusions attendues avant la présidentielle.
Premières réactions : applaudissements, réserves et mise en garde
Dans l’hémicycle, Olivier Faure salue la suspension, pendant que Cyrielle Chatelain (écologistes) y voit « une première étape » mais insuffisante si l’écologie reste hors des priorités. Elle rappelle que le refus du 49.3 ne gomme pas « un respect démocratique bafoué » par le passé. À droite, Laurent Wauquiez (LR) prévient qu’il ne « censurera pas a priori » le gouvernement par souci de stabilité et de budget, mais conditionne son soutien à une baisse des dépenses et à la lutte contre l’assistanat.
Fesneau (MoDem) tance « la stratégie de la cravache »
Le président du groupe MoDem, Marc Fesneau, cible les partisans de la censure, RN et LFI confondus, accusés de « chercher le chaos ». Il salue les voix à droite et à gauche prêtes au compromis et défend la ligne présidentielle : « On n’a jamais tort d’avoir raison trop tôt ». Son message : tenir la trajectoire sans céder à la surenchère.
Une majorité introuvable, un vote crucial en vue
Lecornu assume un discours « inhabituel » pour une déclaration de politique générale et promet de revenir exposer la stratégie domaine par domaine. Mais l’arithmétique demeure : socle parlementaire fragile, menace de censures croisées, et PS en position d’arbitre sur la retraite. La suspension a vocation à désamorcer la sanction immédiate, sans garantir une coalition durable.
Budget 2026 : baisse des dépenses (sauf dette et défense), recettes ciblées
Côté finances publiques, l’exécutif vise environ 30 milliards d’ajustement, dont ~17 milliards d’économies et ~14 milliards de recettes supplémentaires. Les dépenses de l’État baisseraient en 2026, hors charge de la dette et défense en hausse de 6,7 milliards. Sur les recettes, l’effort est concentré sur les contribuables aux moyens les plus élevés, tout en ménageant l’appareil productif par des allégements pour les entreprises.
Pas de « taxe Zucman », mais un ciblage sur holdings et grands bénéfices
Le gouvernement écarte la taxe Zucman, mais propose une taxe sur les actifs non opérationnels des holdings patrimoniales, censée contrecarrer la thésaurisation de revenus non distribués. La contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises (environ 400 groupes au CA ≥ 1 milliard) serait prolongée mais réduite de moitié, pour un rendement attendu d’environ 4 milliards. En miroir, baisses d’impôts de production avec la CVAE réduite puis supprimée d’ici 2028.
Hauts revenus : prolongation de la CDHR et plancher d’imposition
Pour les ménages très aisés, la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) est prolongée, garantissant un taux minimal de 20 % en complément de la CEHR et de l’impôt sur le revenu. L’exécutif cherche ainsi un partage de l’effort sans casser la dynamique d’investissement, en assumant une ligne de « justice fiscale ciblée ».
« Année blanche » sociale : gels et sous-indexations sensibles
Le volet Sécurité sociale reprend l’idée d’« année blanche » : gel des retraites de base en 2026 et sous-indexation de 0,4 point à partir de 2027, plus remplacement de l’abattement de 10 % par un abattement forfaitaire de 2 000 € sur les pensions — gain pour les couples modestes, effort accru pour les autres. Ces mesures visent une maîtrise rapide de la dépense, au risque d’alimenter un mécontentement social.
Impôt sur le revenu : le spectre d’un gel du barème
Si la logique de l’année blanche déborde vers le budget de l’État, le gel du barème de l’IR ferait mécaniquement entrer de nouveaux contribuables et augmenter l’impôt pour d’autres via l’effet de progressivité. L’exécutif vante une recette ponctuelle (~1,9 milliard) ; l’opposition dénonce une hausse d’impôt déguisée. Le débat s’annonce vif, y compris dans les rangs d’alliés potentiels.
Nouvelle-Calédonie : « engager tout de suite » la réforme institutionnelle
Lecornu veut ouvrir sans tarder la séquence post-Accords de Nouméa, s’appuyant sur l’Accord de Bougival pour une réconciliation et une stabilité institutionnelle. Argument clé : parce que cela prendra du temps, il faut commencer maintenant. Là encore, la majorité relative complique la manœuvre ; le Premier ministre appelle à un sens des responsabilités dépassant les clivages.