« Consommez plus! », réclame le gouvernement alors que le taux d’épargne des Français atteint 18,8%, un niveau record depuis 45 ans
Le gouvernement s’inquiète d’un paradoxe bien français : alors que les ménages épargnent à des niveaux records, la consommation, moteur traditionnel de la croissance, reste atone. Une dynamique qui freine la reprise économique et rend le redressement des comptes publics plus difficile à mener.
Au premier trimestre 2025, le taux d’épargne des ménages français a atteint 18,8 % de leur revenu disponible, selon l’Insee. Hors période de crise sanitaire, il s’agit du plus haut niveau enregistré depuis près d’un demi-siècle. Cette prudence financière, que d’aucuns qualifieraient de vertueuse, pose néanmoins un problème de fond à l’économie nationale : elle freine la consommation, pilier essentiel de la croissance tricolore.
Le gouvernement, par la voix de François Bayrou, désormais à Matignon, s’est montré préoccupé. Dans les documents accompagnant la présentation du budget 2026, l’exécutif entrevoit une possible reprise de la consommation, mais constate que celle-ci reste encore freinée par de nombreux facteurs.
Des raisons multiples derrière cette prudence
Selon la Banque de France, plusieurs explications permettent de comprendre ce regain d’épargne. D’abord, le rendement plus attractif de certains produits, comme le Livret A, a incité les Français à conserver les intérêts perçus plutôt qu’à les dépenser. Ensuite, les retraités, dont les pensions ont été revalorisées, ont pour beaucoup préféré placer cet excédent dans des produits d’épargne, au lieu de l’affecter à des achats.
Enfin, le climat d’incertitude économique, géopolitique et sociale renforce l’attentisme. Comme l’a souligné le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau : « Le contexte d’incertitude pousse les ménages à rester prudents ».
Une consommation freinée par les contraintes budgétaires
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les Français n’épargnent pas par excès de confort, comme le souligne l’Insee. La priorité reste avant tout donnée aux arbitrages budgétaires, et la consommation est restreinte par la baisse du pouvoir d’achat ou la peur de l’avenir. Ce n’est qu’en second lieu que l’épargne apparaît comme un choix actif. La dimension environnementale, souvent invoquée, reste marginale, et surtout portée par les jeunes urbains les plus aisés.
La baisse du Livret A : un signal implicite ?
À partir du 1er août 2025, le taux du Livret A passera mécaniquement de 2,4 % à 1,7 %, conformément à la formule de calcul automatique. Pour certains économistes, cette décision vise indirectement à décourager l’épargne réglementée au profit de la consommation. Philippe Crevel, président du Cercle de l’épargne, voit dans cette baisse une manière de stimuler l’économie.
Mais du côté de Bercy, on rejette toute arrière-pensée politique, insistant plutôt sur la baisse progressive de l’inflation, censée redonner du souffle au pouvoir d’achat et relancer naturellement les dépenses des ménages.
Vers une réorientation de l’épargne vers l’investissement
Face à cette épargne jugée “stérile” par certains, le gouvernement et la Banque de France militent pour une mobilisation plus dynamique des ressources financières, notamment en faveur de l’investissement productif. Ils encouragent les placements plus risqués, comme les unités de compte en assurance vie, les actions en Bourse ou le capital-investissement.
Bpifrance tente de démocratiser ces instruments auprès du grand public, avec le lancement du label Finance Europe en juin dernier. L’objectif : rediriger l’épargne des Français vers des entreprises qui participent à la croissance réelle, plutôt que de la laisser dormir sur des comptes à faible rendement.
Une relance par la consommation : un pari risqué ?
Mais tout le monde ne partage pas cette stratégie. Un grand patron bancaire, interrogé par l’AFP, juge ce positionnement dangereux pour l’économie française : « Relancer la croissance par la consommation, c’est suicidaire : cela déséquilibre notre balance extérieure en favorisant les importations. »
À ses yeux, la France doit au contraire favoriser la production, l’innovation, et l’investissement dans l’économie réelle, en mobilisant intelligemment l’épargne disponible. Une stratégie qui suppose de réconcilier les Français avec le risque et de renforcer l’attractivité des produits financiers hors épargne réglementée.