Ciotti veut interdire les mariages avec des OQTF: « C’est contraire au droit national », tacle une avocate
Derrière le débat autour des mariages entre Français et étrangers sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF), c’est un bras de fer juridique et politique qui s’engage. Tandis qu’Éric Ciotti veut armer les maires pour refuser ces unions, les garde-fous constitutionnels et européens se dressent en rempart.
Dans le cadre de la niche parlementaire du groupe UDR, Éric Ciotti a présenté une proposition de loi visant à interdire la célébration des mariages impliquant des étrangers visés par une OQTF. Ce texte, déjà adopté au Sénat, prévoit que les maires puissent s’opposer à une union s’ils découvrent que l’un des futurs époux est en situation irrégulière.
Le député des Alpes-Maritimes, soutien déclaré de Marine Le Pen, justifie cette initiative par la nécessité de lutter contre les mariages blancs. Il affirme vouloir protéger les édiles menacés de sanctions judiciaires en cas de refus de mariage, citant en exemple l’affaire de Robert Ménard, poursuivi pour avoir refusé de marier un ressortissant étranger concerné par une OQTF.
Une mesure jugée anticonstitutionnelle
Pourtant, la légalité de cette proposition est largement contestée. Comme le rappelle l’avocate spécialisée Vanessa Edberg, « le mariage est un droit fondamental reconnu par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme ». À ce titre, empêcher un maire de célébrer une union uniquement en raison du statut administratif d’un des conjoints serait contraire au droit.
D’un point de vue juridique, le fait d’être sous OQTF ne supprime pas le droit de se marier, ni ne constitue un indice de fraude. D’ailleurs, en cas de soupçon de mariage blanc, le maire dispose déjà d’un outil légal : saisir le procureur de la République, qui peut suspendre le mariage et ouvrir une enquête. Les époux sont alors auditionnés, et seuls les cas avérés de fraude peuvent justifier une interdiction.
Une confusion entre mariage et régularisation
Contrairement aux idées reçues, un mariage avec un(e) Français(e) n’entraîne pas automatiquement la régularisation d’un étranger en situation irrégulière. Comme le rappelle Me Edberg, le couple doit justifier d’une vie commune d’au moins 18 mois, et dans bien des cas, l’étranger doit avoir vécu en France pendant 5 à 7 ans pour obtenir un titre de séjour. Une exigence renforcée par les circulaires récentes du ministère de l’Intérieur.
Autrement dit, l’existence d’un mariage ne protège ni d’une OQTF ni d’un éloignement, sauf si les conditions de régularisation sont réunies. Dès lors, l’argument selon lequel ces unions seraient un moyen systématique de contourner la loi ne résiste pas à l’examen des faits.
Une portée politique plus que juridique
La proposition d’Éric Ciotti, bien que juridiquement fragile, s’inscrit dans une stratégie politique claire : agiter le thème de l’immigration et de l’ordre républicain. En demandant le soutien du groupe centriste, et en invoquant un échange entre Emmanuel Macron et Robert Ménard, le député UDR tente de créer un consensus sur fond de fermeté migratoire.
Pourtant, le texte a de grandes chances d’être retoqué. Soixante députés ont d’ores et déjà annoncé leur intention de saisir le Conseil constitutionnel, qui devrait examiner la compatibilité de la mesure avec les droits fondamentaux. Et si la loi venait à être adoptée, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pourrait être soulevée par un étranger concerné, menant potentiellement à l’annulation partielle ou totale de la disposition.
Une réalité chiffrée bien éloignée de la perception
Enfin, les chiffres rappellent que le phénomène reste marginal. D’après le député LFI Aurélien Taché, seuls 406 mariages en 2022 impliquaient une personne sous OQTF, sur plus de 250.000 unions célébrées cette année-là. Cela représente à peine 0,16 % des mariages en France. Une réalité statistique bien loin des discours alarmistes.